Le coronavirus on en parle tous les jours : les statistiques, les prévisions, les restrictions… Mais on ne peut pas dire que la crise sanitaire n’a entrainé que des mauvaises conséquences, puisqu’elle aussi permis d’une certaine manière de « libérer » le travail.
J’entends par là que chacun a dû prendre ses dispositions afin de s’adapter à la situation et notamment avec le premier confinement en 2020 (2 ans déjà…!). Je me souviens encore des entreprises dans lesquelles j’effectuais des missions ou bien celles où mes amis travaillaient et pour lesquelles il fallait faire des pieds et des mains pour obtenir un jour de télétravail à un moment donné. Formulaire, prérequis, conditions… Qui aurait pu imaginer qu’aujourd’hui, le télétravail est presque devenu la norme ? Aucun autre évènement n’aurait pu faire évoluer la situation aussi rapidement et assouplir les règles aussi drastiquement dans les entreprises en termes de travail à distance. Ce qui est sûr c’est que cette nouvelle relation au travail ne laisse personne indifférent. Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour comprendre rapidement que la question est toujours d’actualité et que chacun a son avis bien tranché.
Mais voilà, 2 ans après quels sont les résultats ? De nombreuses entreprises ont désormais adopté le travail à 100%, tandis que d’autres n’attendent qu’une chose, le retour à la « normale ».
Chaque situation est différente
La première chose à souligner je pense est que chaque entreprise, chaque salarié se trouve dans une situation différente qui est propre à lui. Déjà, tout le monde n’est pas éligible au télétravail pour des raisons évidentes et le sujet du télétravail est un luxe que seule une partie de la population, souvent les cadres supérieurs, peut s’accorder. D’autre part, il y a tellement de facteurs qui peuvent avoir une influence sur notre ressenti par rapport à ce nouveau mode de travail : taille de l’entreprise, secteur d’activité, tâches quotidiennes, locaux, logement… Il est impossible d’en faire une généralité.
Certaines activités se prêtent largement plus au télétravail que d’autres. Travaillant dans le développement informatique, je pense naturellement aux développeurs qui, de mon expérience, sont assez contents de pouvoir travailler de chez eux tranquillement sans être interrompu. Plus globalement, tous les travails nécessitant de rester concentrer et de travailler sur des tâches techniques ou sur des logiciels doivent être globalement satisfaits de pouvoir faire tout ce qu’il faisait au bureau depuis chez eux. Quel intérêt de faire parfois plusieurs heures de trajet pour au final être souvent moins bien installé, moins bien équipé et être interrompu régulièrement dans son travail ? De nombreuses études montrent qu’une interruption de quelques secondes seulement affectent très fortement la productivité sur des tâches complexes. Je pense également aux designers, rédacteurs, monteurs.. Globalement tous les métiers qui requièrent concentration et dextérité.
Dans mon cas, mes journées de travail sont plus majoritairement composées d’atelier et de réunion que de tâches demandant une concentration continue. Et c’est bien là mon problème avec le télétravail : comment prendre plaisir à exercer son métier à distance tous les jours, quand la majorité de mon activité est basé sur des relations sociales ? Malgré la qualité des outils que l’on peut trouver en ligne, je pense que rien ne remplacera un atelier en physique avec des interactions, des communications, des échanges dans le but d’atteindre un objectif commun. D’autre part je suis intimement convaincu qu’une grande partie de notre travail s’effectue en dehors des heures de travail : la pause café, les repas, les after-works… Et aujourd’hui je trouve que c’est sur ce point que le télétravail pêche le plus, ce qui m’amène à mon point suivant.
Culture d’entreprise et activité extra professionnelle
Je pense que les nouvelles entreprises qui se dirigent vers un modèle 100% télétravail ont sur le papier plein d’avantages : flexibilité pour le salarié, économie des locaux, recruter de nouveaux talents délocalisés… Mais la contrepartie de ce nouveau modèle va être pour moi de garder ces salariés sur le long terme. Quand on voit la quantité de services et d’activités que certaines entreprises peuvent parfois offrir pour attirer et garder leurs salariés, il me paraît compliqué d’appliquer ça à des entreprises souhaitant travailler complètement à distance. Quelques exemples que j’ai en tête :
- Locaux attractifs et équipés (salle de sport, salle de réunion, restaurant…)
- Activités extra professionnelles (cours de yoga/sport, after-works, évènements festifs…)
- Team building (escape game, serious game, atelier…)
Bien sûr certains laisseront allègrement tout ça pour avoir plus de liberté et préféreront passer leur temps à autre chose mais dans ce cas, est-ce qu’on peut dire que leur appartenance à leur entreprise est forte ? Ou bien pourraient-ils simplement quitter leur entreprise pour rejoindre une autre plus attractive, plus compétitive ? Il y a selon moi un véritable enjeu pour les entreprises souhaitant développer le 100% télétravail à animer leurs salariés pour éviter un trop gros turnover et se développer sur le long terme. Toutes ces activités sont pour moi un moyen pour l’entreprise et l’employeur de développer une culture d’entreprise et de la rendre attractive pour le long terme pour tous ces salariés.
Je terminerai par mentionner le fait que le télétravail peut isoler les personnes qui sont en difficultés dans leur travail et/ou dans leur relation sociale. La place du travail peut être également un vecteur d’épanouissement pour le salarié qui dans certains cas va avoir besoin de sortir de son logement et de son cercle social à la maison (environnement malsain, relation toxique, petit logement…). Le lieu de travail permet dans ce cas de sortir de cette condition et d’avoir l’opportunité de rencontrer de nouvelles personnes, échanger sur les problèmes rencontrés… Tout cela me semble plus compliqué à faire et détecter à distance, surtout lorsque l’on vient de rejoindre une nouvelle entreprise.
Un marché du travail plus ouvert, opportunité ou menace pour les salariés français ?
Qui dit plus de télétravail, dit moins de frontières et donc ouverture à l’international. Pour les salariés ça peut paraître être une bonne nouvelle puisque ça veut dire plus d’opportunités, plus de possibilités. Mais ça veut également potentiellement dire plus de compétition. Le recours à la sous-traitance est déjà quelque chose qui se faisait régulièrement auparavant notamment pour des activités de développement informatique ou de relation client, je pense notamment à l’Inde, l’Europe de l’Est ou encore le Maghreb qui proposent tous des services similaires à des prix cassés.
Le risque bien sûr est donc d’être désormais en compétition avec potentiellement plus de candidats maintenant que la localisation n’est plus un prérequis pour travailler dans une entreprise. Bien sûr on pourra toujours compter sur notre « savoir-faire » à la française et se vanter que la qualité de notre service est incomparable aux autres pays, mais en réalité si un salarié coûte deux fois moins cher à un employeur lorsqu’il passe par de la sous-traitance à l’étranger, le risque n’est pas nul de voir durant ces prochaines années beaucoup plus d’entreprises aller piocher leur ressource à l’étranger plutôt qu’en France. Je pense que c’est un facteur qu’il est important de prendre également en compte.
Tout est une question d’équilibre
Le télétravail est une véritable aubaine pour les salariés comme pour les entreprises qui vont devoir s’adapter et s’organiser car il n’y aura probablement pas de retour à la « normale ». Dans leur grande majorité, les salariés qui ont goûté au télétravail à temps plein n’accepteront plus de revenir à 100% sur place. Mais à l’inverse, j’ai remarqué dans mon entourage et à travers ma propre expérience qu’une expérience 100% délocalisée n’est pas forcément tout à fait positive dans sa forme actuelle. Onboarding, attractivité, culture d’entreprise, activité extra professionnelle, je pense qu’il y a plusieurs points sur lesquels les entreprises vont devoir travailler afin de rendre l’expérience de travail toujours aussi agréable sur place comme à distance, l’idéal sera bien sûr de combiner dans la mesure du possible, travail à distance et travail sur place en fonction des besoins et des envies de chacun.
Et vous quel est votre ressenti par rapport au télétravail ? Plutôt team 100% à la maison, team sur place ou bien un entre deux ?
2 Comments
Bravo Romain, très bien et très clair
Article pertinent qui synthétise bien les arguments, tant positifs que négatifs autour de cette nouvelle forme de travail. Je suis personnellement tout à fait d’accord sur le fait que dans la majorité des cas, le travail et les relations sociales que cela induit, est vecteur de bonne santé et a un impact positif sur le bien-être et l’épanouissement des individus (si on fait abstraction de certains managements toxiques et conditions de travail déplorables).
La réflexion sur un marché du travail plus ouvert, me fait penser à une forme de translation de ce qu’à vécu le monde ouvrier avec la désindustrialisation et qui est en oeuvre aujourd’hui dans le secteur des services et autres prestations intellectuelles. Ce n’est que la continuité de la dynamique de mondialisation. Tant que les règles ne seront pas communes aux quatre coins du globe, elle ne pourra pas s’opérer sans risque pour les uns ou les autres.
De nombreuses entreprises sont implantées sur un plan national, voire international. Les grands groupes ont souvent plusieurs sites géographiquement répartis sur le territoire. En fonction des métiers et des activités, de nombreuses interactions se faisaient déjà par téléphone ou en visio. J’ai pu le constater dans mes 3 dernières entreprises, même quand le télétravail n’était pas aussi généralisé. Des collègues qui travaillaient dans la même équipe, mais qui étaient basés dans des régions différentes, ou même des bâtiments différents (à la Défense), usaient du téléphone ou de conférences skype (ou autre) pour faire des points de suivi de projet. Cela permettait déjà une certaine flexibilité dans la gestion de l’agenda, pour enchainer plusieurs réunions, sans avoir à faire le trajet entre chaque rendez-vous.
Je dirais, à titre personnel, que le télétravail ne change en rien ma façon de travailler, même si les relations sociales constituent une part importante de mon métier (tant qu’il me permet d’effectuer quelques déplacements ponctuels sur site lorsque j’en ai besoin). Le sujet fait appel à une grande part de subjectivité et la pluralité des facteurs qui rentrent en compte pour qu’une personne ressente le télétravail comme étant bénéfique ou non pour elle, rend compliqué toute tentative d’uniformisation. En revanche le 100% télétravail serait effectivement une barrière à l’accomplissement de mes missions dans de bonnes conditions.
Je pense que la vision qui consiste à considérer le télétravail comme LA nouvelle forme de travail à adopter (le 100% télétravail) est une grave erreur. Il serait plus pertinent de le voir comme quelque chose de complémentaire, un nouvel usage qui offre des opportunités d’améliorer la productivité, les conditions de travail, l’équilibre vie-personnelle/vie-professionnelle…
Les nouvelles technologies permettent souvent d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation et bouleversent les ordres établis. Comme tout changement, les innovation, même organisationnelles, sont souvent accueillies avec beaucoup réticence (non, la radio n’a pas tué la lecture / la télévision n’a pas tué la radio / Netflix n’a pas (encore) tué la télévision).
De la même manière que l’introduction du téléphone portable, de MSN ou de facebook dans la sphère privée n’a pas empêché les gens de continuer à se voir et partager IRL, ou que l’utilité de la digitalisation des entreprises n’est plus à remettre en question, le recours au télétravail semble s’imposer comme une organisation incontournable à tel point qu’il en devient parfois un argument de recrutement et de fidélisation des salariés (déjà vu dans des offres d’emploi en étant vendu comme un avantage !).
Tout dépend du secteur. Heureusement, ou malheureusement, de nombreux métiers sont épargnés par cette question du télétravail. Ce sont souvent les métiers dits « de première ligne » (production, service de proximité, accueil de clients/usagers…).
Selon moi, il n’existe jamais de bonne réponse universelle à ce type de questionnement.
Pour être accepté et bien vécu par tous, le télétravail doit être le fruit d’une réflexion interne aux branches afin de coller au mieux aux besoins de chaque métier. Il doit ensuite faire l’objet d’accord dans chaque entreprise et d’échanges à l’échelle individuelle afin de répondre aux préoccupations de chacun (en fonction de sa situation personnelle, des conditions de son logement, de son rythme de vie…). Le 100% de télétravail peut convenir à certains. Pour d’autres ce sera plutôt du 100% sur site. D’autres encore, seront plus tentés par un rythme d’alternance entre télétravail et travail sur site.
Cela doit rester une possibilité et offrir une certaine flexibilité afin de constituer un véritable levier répondant aux promesses d’allier performance de l’entreprise et épanouissement personnel des individus (tout en considérant l’impact positif du télétravail sur l’environnement avec tous ces trajets quotidiens et déplacements professionnels évités !), ce vers quoi toute entreprise devrait essayer de tendre quand elle en a la possibilité.
En ce sens, je pense que la réponse ne devrait pas se faire par voie législative, bien que celle-ci doive tout de même se pencher sur la question afin de proposer un cadre et d’adapter le Code du Travail à certaines situations.
Il est certain que le coronavirus a eu l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière. La mise en place forcée d’une règle uniforme, sans concertation, sans individualisation, a souvent eu pour résultat, dans les entreprise dépourvues d’agilité, un mal-être, voire l’apparition de risques psychosociaux, ou bien une réduction de productivité lié à une démotivation et à une perte de contrôle par les managers.
Il serait dommage que le télétravail soit perçu à l’image de l’expérience malheureuse de ces deux dernières années, sans imaginer ce que pourrait être cette nouvelle forme de travail si elle était bien ajustée.
Parce que nous passons en moyenne un tiers de notre vie au travail, il est important que cela reste une source d’épanouissement dans laquelle chacun arrive à s’y retrouver.