Je n’ai pas écrit d’article depuis le début de la crise sanitaire, c’est donc l’occasion de s’y remettre avec un article qui n’a rien de révolutionnaire mais qui me trotte dans la tête depuis quelque temps, surtout avec le confinement. Ce sont plus des réflexions générales sur notre époque plutôt qu’une argumentation détaillée.
En dévorant l’offre Netflix pendant tous ces mois, je me suis posé la question suivante : dans 20, 30 ans, quelles seront les « classiques » des années 2010 comme on a pu connaître dans les années 90, 2000 (mes références personnelles, il y en a bien sûr eu avant) ? L’offre est tellement diverse et variée aujourd’hui que je n’arriverai même pas à citer une série ou un film majeur de ces dernières années. Ce n’est pas que la qualité des productions a diminué avec le temps bien au contraire mais notre consommation est devenue tellement hallucinante avec le « binge watching » (terme que je déteste), qu’il en devient difficile d’apprécier une œuvre à sa juste valeur. Certains pointeront du doigt ces géants qui auraient uniformisé et standardisé les nouvelles productions mais je ne suis pas de cet avis-là. Au contraire, quel plaisir de découvrir de nouvelles directions artistiques, des langues qu’on n’a jamais l’habitude d’entendre au cinéma plutôt que de rester sur un choix uniquement de production américaine. Par contre, ce qui est sûr c’est qu’il est beaucoup plus facile de tomber sur des choses que l’on n’apprécie pas plutôt que des choses à notre goût, c’est un peu l’effet Twitter/Youtube.
Ayant grandi dans les années 90′, lorsqu’une œuvre majeure sortait au cinéma, c’était un peu un évènement en soi, un sujet qu’on allait forcément aborder à la récré avec les copains. Aujourd’hui, lorsque l’on compare les séries du moment, c’est presque rare de regarder la même chose en même temps. Mon point n’est pas du tout de dire « C’était mieux avant » et j’ai bien conscience que ce que je ressens là, mes aînés ont sûrement ressenti la même chose dans les années 90, lorsque moi je découvrais des nouvelles créations et que pour eux la machine Holywoodienne était déjà lancée. Mais maintenant que le marché est saturé de production, il est devenu vraiment difficile de retrouver des acteurs ou des films iconiques tels qu’on les connaissait.
Il y a 10 ans je regardais la trilogie du seigneur des années au moins une fois par mois et aujourd’hui je suis lassée avant même de choisir mon programme sur Netflix. Je me pose donc la question suivante : comment faire pour apprécier à nouveau une œuvre de la même manière qu’avant ? Ce qui me permet de faire l’analogie avec un autre secteur qui a récemment connu la même chose : les jeux vidéos. Les gamers sont en train de connaître l’effet « Netflix » avec un accès quasi illimité qui est en train de se développer sur le catalogue des jeux vidéos. Mon moi petit serait en train de se dire « génial » je vais pouvoir jouer autant que je veux pour pas cher. Mais finalement j’en reviens presque à regretter le temps où je passais des dizaines d’heures sur le même jeu (pas terrible) simplement parce que c’était le seul jeu que j’avais et qu’avant d’en avoir un nouveau il allait s’écouler plusieurs mois. Cette rareté offrait bien plus que des beaux graphismes, un bon gameplay, une belle direction artistique, comment retrouver ça ? Mais en même temps, comment regretter ce temps alors qu’aujourd’hui il est possible de jouer à des jeux de studios indépendants, découvrir de nouveaux types de jeux et s’amuser avec des amis sur un catalogue quasi-infini ?
Je pense que c’est un sentiment partagé par ma génération, qui n’est peut-être pas forcément ressenti par la génération suivante qui baigne déjà dans l’abondance de contenu et l’instantanéité (snapchat, youtube, tiktok…). Encore une fois, je ne cherche pas à dénoncer ou bien à critiquer, j’essaye de prendre du recul pour accueillir ce changement. Du coup je me pose la question suivante, quel sera le prochain secteur a connaître cette transformation ?
2 Comments
Très bel article.
Vision et pensée partagée. Un star wars, un seigneur des anneaux ou un Harry Potter qui sortirait aujourd’hui, serait noyé dans la masse de contenu proposés et ne jouirait pas de son statut de film « culte ». D’autant plus que la multiplication des supports, à travers les plate-formes nécessitant un abonnement, réduit considérablement la portée d’un contenu exclusif pour le faire apparaître comme culte. Sans parler de la course au buzz éphémère qui se compte en nombre de like. La définition que donne Richard Hamilton du « Pop art » en présentant l’art comme produit à consommer montre le rapport malsain qu’on entretien avec les œuvres, leur faisant perdre toute leur saveur. Ça pose aussi la question de la culture commune, qui est une composante de ce qui fédère une nation. Est-ce qu’on peut légitimement faire un lien avec les phénomènes de communautarisation de plus en plus visibles dans la société, qui la divisent en plusieurs groupes distincts ? Dans ce catalogue d’offre quasi infini, chacun a la possibilité de s’inscrire dans un schéma visant à choisir des contenus correspondants aux codes de leur communauté (courant de pensée politique, philosophique, religieux, identitaire…). La question final de l’article m’interroge car la répétition de ce phénomène dans d’autres secteurs semble inévitable. Poussé à l’extrême, on peut penser que, malgré l’ouverture que cela permet à travers la découverte de nouveaux contenus, cela conduit à enfermer les individus dans une vision étriquée du monde, entravant les échanges, les partages, les possibilités de confrontation d’idée, les débats… Comme la consommation de tout produit, le risque de la surconsommation réside dans l’addition jusqu’à l’overdose. Appliqué au jeu vidéo ou au cinéma cela reste anecdotique (on partage simplement de moins en moins les mêmes références), mais étendu à l’ensemble des domaines culturels, ça conduit à aller jusqu’à nier ou ignorer tout un pan de pensée, de créativité, de vision partagée du monde… Allant jusqu’à trouver seduisants les mouvements qui tentent de récrire l’histoire, pour que celle-ci colle avec l’idée idéalisée qu’on se fait du monde ou à adopter des comportements complotistes jusqu’à nier la science elle-même, en trouvant des contenus qui nous confortent dans nos idées et créent une référence commune pour un petit groupe qui partages cette vision du monde.
Une dérive de l’abondance qui démontre le prix de la rareté.
Une perspective plutôt effrayant qui ferait une beau scénario dystopique.
A l’inverse, la rareté extrême, comme pensée unique s’inscrivant dans un schéma de censure, empêche indéniablement la réflexion et constitue un trait du despotisme.
Peut-être que l’équilibre entre l’abondance et la rareté est, comme souvent, un idéal à atteindre ?
Hello Théo,
Wow merci pour cette réponse très juste, tu as poussé la réflexion bien plus loin que mon modeste article ! Je te rejoins tout à fait en tout cas sur la vision que tu partages et le parallèle que tu poses avec les questions de société est tout à fait pertinent.
Merci d’avoir pris le temps de lire mon article et d’y avoir contribué avec ton commentaire,
A une prochaine fois peut être, dans tous les cas je te souhaite une belle année 2022 !